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Dans l'intimité de.....

NICCI FRENCH !



Chez Nicci French l'écriture est une expérience un peu plus complexe et périlleuse que pour n'importe quel autre écrivain. Et pour cause, il s'agit de la fusion à la vie comme sur papier des auteurs Nicci Gerrard et Sean French. Un couple qui cultive depuis 17 ans l'art du roman à quatre mains et les succès de librairie. Une fois encore, ils commettent un thriller, Lundi Mélancolie (Fleuve Noir), ayant pour cadre une héroïne féminine. Sur fond de disparition d'enfants à vingt ans d'écart, la psychanalyste Frieda Klein se heurte à la question de la gémellité, sur fond de solitude. Exception notable, ce roman noir qui cultive les décors nocturnes de Londres est le premier d'un cycle de 8 pavés à garder ce personnage principal. « Une bien dure semaine pour Frieda », promettent-ils dans un sourire.
Comme une évidence, assis côte à côte, ils échangent sur les petites questions et grandes obsessions de la vie. Sans se couper la parole et avec beaucoup d'humour. « Lire, écrire, discuter de livres est une grande part de notre relation ». Le duo a suivi à Oxford des cours de littérature les mêmes, puis dédié leur carrière au journalisme, critique littéraire pour monsieur, tandis que madame a fondé la Woman's Review. Mais à l'époque de l'université, ils ne se rencontrent pas. Il faudra attendre bien des années pour qu'ils se rencontrent et décident de ne plus se quitter.

Quatre mains pour deux regards

Plutôt qu'une partition à quatre mains, ils optent pour un double regard. Et cela commence par les méthodes de travail. Nicci écrit dans un bureau aménagé dans un grenier alors que Sean hérite du hangar. Concernant le texte, une fois les attributions faites, chacun écrit un chapitre de son côté. À l'autre ensuite de modifier ou effacer à l'envi ce qui ne lui convient pas. De cette écriture mitoyenne, les deux Anglais ont établi un seul mot d'ordre : la confiance. « C'est la clé de l'ensemble », « on s'expose », expliquent-ils. Et si l'un efface tout un pan du travail de l'autre, rien à redire. Sean revient un bon moment sur cette danse comme « une perte d'égo » des plus « naturelles ».

Nicci laisse échapper un rire d'étonnement. La quinquagénaire blonde ne se reconnaît pas dans cette aisance. Nous tiendrons là une des rares divergences dans leur approche artistique. Mais exercice de style ou vrai travail du rapport à son vis-à-vis, la recette fonctionne. À la lecture le tout est d'une limpide homogénéité. « Si j'étais sur un autre projet, Nicci pourrait finir le livre seule ». Avant de nuancer : « Mais il ne serait pas aussi bon ». Taquin, Sean démontre que cette connaissance de l'autre moitié rend les choses efficaces. Un petit luxe qui permet de répondre aux questions du genre. Comme leur héroïne thérapeute, ils parlent beaucoup d' « exploration existentielle » et « du relief du soi ».

L'obsession de l'infanticide

Et du basculement qui provoque les réactions les plus étranges chez l'homme. Plus que la résolution d'enquêtes, l'irruption de l'extraordinaire dans le commun de l'existence les fascine. C'est que Nicci a enseigné à des enfants souffrant de troubles émotionnels à Sheffield. Puis plus tard à couvert quotidiennement les très médiatiques procès pour infanticides de Soham et du couple tueur West. S'il répète souvent ne jamais partir d'une base réelle, Nicci French a fortement coloré Lundi Mélancolie de ces affaires d'enlèvements et d'homicide sous un coup de colère. L'écrivaine avoue même avoir été obsédée par ces questions pendant très longtemps. Mais relate que la scène d'une chute de plafond, maçon polonais compris, dans le bureau de Frieda a bel et bien eu lieu. Entre deux introspections, l'humour n'est jamais loin
La thérapie "si Middle Class"
La disparition, mais aussi la solitude de celui qui part et celui qui reste. Ce roman hivernal émaille le récit de liens doubles entre les personnages. Un ravisseur qui enlève une projection infantile de lui-même, des jumeaux qui n'ont pas vécu ensemble, la recherche de l'autre. On ne peut s'empêcher de songer qu'avec Nicci et Sean nous avons à faire à une paire de jumeaux. Platoniciens, ils répondent plus volontiers Freud. Cette quête de la découverte d'un autre hémisphère pour mieux se compléter, Frieda elle aussi y est confrontée.

Et bien souvent malgré elle : À peine la porte de son univers se referme sur un monde qu'elle fuit, que la vie lui envoie une cohorte de paumés qui cherchent à être retrouvés. « Mais ce n'est pas Mary Poppins, elle sait que tout le monde ne peut pas être changé », tempère Sean. Optimistes ? Pas vraiment, leur univers cultive la fragilité. Sauf peut-être en matière de livres numériques. Sean et Nicci s'enthousiasment pour la lecture sur liseuses, et gardent l'espoir d'un modèle économique qui « trouve son chemin ». Chez eux, on parle Kindle, ils en ont chacun un. Des jumeaux jusqu'au bout.


Source: le télégramme

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